Éminent pasteurien, découvreur du bacille de la peste, Alexandre Yersin, né en Suisse et naturalisé Français, a passé une grande partie de sa vie en Indochine. Il y fera construire son laboratoire, une école de médecine ainsi qu’une station en altitude. Passionné de voyage et humaniste convaincu, il dédie sa vie entière à la recherche et à la guérison des malades.
Alexandre Yersin n’a que 27 ans lorsqu’il décide de s’engager comme médecin des Messageries maritimes sur la ligne Saigon-Manille en 1890. La Compagnie des Messageries maritimes, fondée en 1851 sous le nom de Messageries Nationales, a pour but de transporter par bateau les courriers, mais aussi des passagers et du fret. Ses lignes sont mises en place dans différents pays du monde.
Quand il s’engage, il est pourtant promis à une brillante carrière à Paris sous l’égide de Louis Pasteur et Émile Roux : il a rencontré le premier et travaillé pour le second. Mais il plaque tout pour partir en Asie, et assouvir sa passion pour la mer et les contrées lointaines, dont il a pris la mesure grâce à l’Exposition universelle de 1889.
Il débarque en Indochine le 18 octobre 1890. Il est rapidement muté sur la ligne Saigon-Haiphong. Commence alors pour lui l’exploration de l’Annam, région située au centre du pays et encore peu connue des Français. Il établit de nombreux plans et cartes, prend des photos et réalise des illustrations, documents qui seront parmi les premiers sur certaines régions. Il découvre le plateau du Lang Biang, où Paul Doumer, sensible aux récits de voyage de Yersin, fondera plus tard Dalat et son célèbre sanatorium.
En 1894, Yersin a rejoint depuis deux ans le Service de santé colonial lorsqu’il est envoyé par le ministère des Colonies françaises et l’Institut Pasteur à Hong Kong. Une épidémie de peste bubonique décime alors la Chine, et le gouvernement craint sa propagation à l’Indochine. Yersin étudie le virus en même temps que son concurrent, le Japonais Kitasato.
Il ne le sait pas encore mais c’est grâce au manque de moyens et donc de matériel, qu’il isole le bacille de la peste. Alors que Kitasato utilise des incubateurs permettant d’étudier les micro-organismes à température corporelle (37°C), Yersin qui n’en a pas, doit se contenter de la température ambiante. Or le bacille de la peste se propage bien mieux entre 20 et 30°C.
Lorsqu’il pose les yeux sur son microscope, Yersin n’en revient pas : ça grouille de partout. Il comprend alors qu’il tient le responsable de millions de mort depuis des siècles. Après cette découverte, il rentre quelque temps en France pour mettre au point le sérum avec Calmette et Borrel, contre le virus qui porte aujourd’hui son nom, Yersinia pestis.
En 1895, Yersin établit un laboratoire pour produire le sérum antipeste en Indochine. L’établissement deviendra l’institut Pasteur en 1903. Là, il étudie les maladies et les épizooties du pays. Il achète un troupeau de vaches, de bœufs, de buffles, de chevaux, de moutons et de chèvre, qu’il établit à Suoi Giao, à 20 km de Nha Trang.
Mais il a besoin de fonds pour financer ses recherches. Il entreprend donc la culture du maïs, du riz et du café. Précurseur, il introduit la culture de l’hévéa et entre en contact avec Michelin, auquel il vend le caoutchouc produit. L’Indochine deviendra par la suite un fournisseur prépondérant d’hévéa pour les colonies françaises. Manquant de la quinine nécessaire pour traiter les malades atteints du paludisme, Yersin introduit aussi le quinquina.
En 1903-1904, Yersin est chargé par Paul Doumer de prendre la direction de l’École de médecine de Hanoi nouvellement fondée. Le but est de former des médecins autochtones au traitement des maladies sévissant sur le territoire d’Indochine. Il y enseigne la physique, la chimie et l’anatomie comparée. En 1904, il retourne à Nha Trang, d’où il prend la direction des instituts Pasteur de Nha Trang et de Saigon.
En 1917, après quelques explorations, il établit la station d’altitude du Hon Ba, où ses animaux et ses plantes bénéficient d’un climat plus adéquat qu’en plaine. En plus du quinquina, il plante également des arbres fruitiers. Quatre ans plus tard, la station servira à l’installation de la TSF, d’où Yersin pourra recevoir les informations de France.
Alexandre Yersin reviendra en France occasionnellement, pour visiter l’institut Pasteur de Paris, dont il est nommé directeur honoraire après la mort d’Émile Roux en 1933. Il mourra dix ans plus tard à Nha Trang, dans l’attachement des Vietnamiens, qui feront ériger une pagode en son honneur près de son tombeau.
Yersin est aujourd’hui considéré comme l’une des figures les plus importantes pour l’avancée des sciences aux 18e et 19e siècles. À Hô Chi Minh-Ville, Hanoi, et Nha Trang, des rues portent son nom. À Hanoi a été établi le Lycée français Alexandre Yersin ; à Dalat, c’est l’université de médecine qui lui rend honneur. Enfin, en 2012, Patrick Deville a réactualisé la mémoire de Yersin à travers son livre Peste et choléra, publié au Seuil, et qui a reçu le prix Femina 2012. Pour qu’enfin soit connue du grand public la vie exemplaire d’un scientifique brillant, qui estimait que « demander de l’argent pour soigner un malade, c’est un peu lui dire : la bourse ou la vie ».