C’est une histoire qui commence comme un conte de fée : un prince charmant, de l’amour, un mariage heureux. Nam Phuong, dernière impératrice d’Annam, vit une existence de rêve, jusqu’à ce que les évènements politiques la forcent à l’exil, à l’autre bout de la planète, dans un petit village de France.
Sur sa tombe, on peut lire « Ici repose l’impératrice d’Annam née Marie-Thérèse Nguyen Huu Thi Lan ». À Chabrignac, en Corrèze, le souvenir de la seule femme ayant reçu le titre d’impératrice de toute l’histoire du Vietnam est entretenu avec beaucoup d’émotion. Ce n’est pas un hasard si cette souveraine a fini le cours de sa vie en France : de son éducation à l’histoire politique de ce qui était alors l’Indochine, elle eut de nombreux liens avec l’Hexagone. À commencer par son nom, dont la consonance ne peut évidemment qu’être française.
Celle que l’on appelle alors Mariette a seulement douze ans en 1926 lorsqu’elle est envoyée à Neuilly, au couvent des Oiseaux. Sa famille est en effet d’obédience catholique, et surtout très moderniste. Elle est en outre liée à la cour d’Annam par le biais de ses parents : sa mère est la petite fille du plus grand propriétaire terrien de Cochinchine, Le Phat Dat, dont les terres ont justement été données par le gouvernement annamite.
À cette époque, l’Annam n’est plus une colonie comme la Cochinchine, mais un protectorat français. La région s’étend de Thanh Hoa (au Sud de Hanoi) à Phan Thiet, à quelques heures au Nord de Saigon. Il possède son propre gouvernement, chapeauté toutefois par les résidents successifs français.
On ne sait que peu de choses sur la jeunesse de la jeune Marie-Thérèse en France. Elle termine ses études secondaires en 1932 et rentre en Indochine sur le même bateau que Bao Dai, l’empereur, qui deviendra par la suite son époux.
Sur le bateau qui la ramène au pays natal, elle ne croise pas le chemin de l’empereur. La rencontre aura officiellement lieu l’année suivante, en 1933. Ayant lui aussi fait ses études en France, Bao Dai est charmé par l’excellente éducation de la jeune femme. Elle correspond à ses attentes, et les sentiments sont réciproques. Ils se marient en 1934, d’un véritable mariage d’amour.
Très attachée à son devoir, elle exige le titre d’impératrice, titre qu’aucune femme n’a jamais reçu auparavant dans l’histoire du pays. Elle choisit Nam Phuong comme nom de règne, qui signifie « Cieux du Sud ». Elle obtient également le prédicat de Majesté impériale.
Nam Phuong est très appréciée du peuple. Elle s’investit énormément dans son rôle, visite régulièrement hôpitaux, crèches et écoles, et participe aux œuvres sociales. Elle fait intégrer des cours d’arts ménagers dans l’enseignement des jeunes filles. Les nombreux dons et secours financiers qu’elle fait ne pèsent aucunement sur le budget de la cour car elle utilise seulement son argent personnel.
La situation politique mondiale au milieu du 20e siècle est particulièrement instable. La décolonisation provoque d’importants changements politiques. L’Indochine n’échappe pas aux secousses et le mouvement indépendantiste se répand sur tout le territoire. Bao Dai abdique en août 1945, après la défaite des Japonais.
Nam Phuong est d’abord protégée par un réseau de prêtres catholiques canadiens puis, bien que partisane de l’indépendance du Vietnam, par les Français. Elle finit par rejoindre son mari à Hong Kong en 1947. Après un retour au pouvoir de 1949 à 1955, Bao Dai se voit destitué suite à un référendum qui instaure la République du Vietnam.
Le couple part alors s’installer à Cannes, dans le Sud de la France. En 1958, Nam Phuong décide de partir vivre seule avec ses enfants et achète le domaine de la Perche à Chabrignac, en Corrèze. 160 hectares, 32 pièces, 4 salons et 7 salles de bain : c’est l’endroit idéal pour l’ex-impératrice qui souhaite paix et tranquillité. Aux côtés de ses enfants et des habitants du village avec qui elle se lie d’amitié, elle vit sereinement.
Sa mort brutale et fulgurante, le 15 septembre 1963, surprend tout le monde. Alors que le médecin a diagnostiqué un début d’angine la veille, elle meurt en moins d’une heure de diphtérie. Sa dépouille est enterrée dans le cimetière du village. L’ancien empereur assiste aux funérailles : ce sera sa dernière visite sur le sol français.
Figure singulière dans l’histoire du Vietnam, Nam Phuong ne se rappellera que peu à la mémoire collective. En France, son souvenir reste entretenu par les habitants de Chabrignac et de ses environs, mais demeure relativement inconnu pour le reste du pays. Et pourtant, ce n’est pas chose commune que d’avoir accueilli en ses terres la dernière impératrice de l’Annam.