Au Vietnam, le culte des ancêtres est une part importante de la vie quotidienne. Différent de la religion car n’impliquant pas de dieu, il est pratiqué depuis des siècles. Cette croyance existe aussi dans d’autres pays d’Asie, mais elle a une résonance profonde et actuelle au Vietnam. Tour d’horizon de ce culte majeur.
Chez les Vietnamiens, le culte des ancêtres provient d’une croyance ancienne et classique, celle d’un monde visible et d’un monde invisible. Les vivants évoluent dans le monde visible, tandis que les morts font partie de la sphère invisible.
Dans cette dimension invisible se trouve en fait l’ensemble des esprits : génies, protecteurs, héros historiques ou mythologiques, démons, âmes errantes… et bien sûr, membres de la famille décédés.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que ces deux mondes ne s’excluent pas. Au contraire, ils s’influencent mutuellement. Un esprit peut donner sa protection à un projet professionnel par exemple. En contrepartie, les vivants doivent s’assurer d’honorer les esprits. Un manquement au culte peut entraîner de lourdes conséquences, comme des problèmes de santé ou des soucis financiers (Source : Martine Wadbled, dans la Revue européenne des migrations internationales [Persée]).
De la même manière, il est terrifiant pour un Vietnamien de mourir sans descendance. Cela signifie que personne ne s’occupera de son autel et que son âme sera condamnée à errer sans pouvoir rejoindre le monde des esprits.
Le culte des ancêtres au Vietnam fait écho au système familial vietnamien. Le respect que montrent les vivants à leurs ancêtres est le même que celui des jeunes générations envers les parents et les grands-parents.
Ce devoir de piété, explique l’ethnologue Florence Nguyen-Rouault dans un article sur le culte des ancêtres, était au départ réservé aux sujets vis-à-vis de leur souverain. C’est Confucius qui l’applique aux relations familiales, de manière plutôt rigoureuse.
Le Vietnam, qui est un pays de tradition confucéenne, reflète ce modèle. Dans le langage notamment : on s’adresse aux gens en fonction de sa position sociale et de son âge, que l’on s’exprime dans le cadre de la famille ou pas.
La famille est un clan qui suit le modèle patriarcal. Le système de parenté est patrilinéaire, c’est-à-dire que seule compte la parenté paternelle. Le chef du clan a autorité sur toute la famille, et surtout, il est en charge du culte des ancêtres. Il s’occupe du culte, de l’entretien des tombeaux, et il tient le registre généalogique.
Aujourd’hui, les familles sont plus nucléaires. C’est donc sur de plus petits noyaux que les chefs de famille exercent leur autorité. Le chef du clan existe encore, mais il a moins de pouvoir. Il demeure toutefois gardien du culte des ancêtres.
La hiérarchie de la famille vietnamienne continue d’exister après la mort. C’est pourquoi le culte des ancêtres demeure important. Il est d’ailleurs reconnu par le droit positif vietnamien comme institution traditionnelle et coutumière (Code de la famille 1995). C’est dire sa place dans la société !
Pour pratiquer le culte des ancêtres, pas besoin de se rendre à la pagode. Chaque famille vietnamienne a son propre autel des ancêtres dans l’une des pièces de la maison. Il s’agit souvent de la pièce principale, mais il peut arriver qu’une pièce entière soit consacrée aux ancêtres.
Devant cet autel, les grandes décisions sont prises et les enfants se marient (en invoquant la bénédiction des ancêtres). Pour la cérémonie, on y pose des photos des défunts, une bouteille de vin et deux plats d’offrandes : de la nourriture, de l’alcool de riz, des objets usuels, de l’argent, des fleurs, et de l’encens. Tout ce dont a besoin le défunt dans l’au-delà.
Il est dit que la chaleur de l’encens permet de réchauffer l’âme du défunt. La fumée quant à elle, permet de porter les prières de la famille jusqu’à lui. Par conséquent, l’encens est offert toute l’année aux ancêtres.
Lors du décès d’un membre de la famille, celle-ci organise une cérémonie au 3e jour, puis une fois par semaines durant 7 semaines (jusqu’au 49e jour), puis une nouvelle fois au 100e jour. Le premier anniversaire de mort est ensuite célébré avec une grande fête, qui est renouvelé chaque année à la même date. C’est la cérémonie la plus importante du culte des ancêtres. Pourquoi la date de la mort plutôt que celle de la naissance ? Parce qu’à son décès, la personne entame sa vie éternelle. Et elle est bien plus importante que la vie terrestre !
Lors de la cérémonie, on brûle des vang ma : ce sont des représentations en papier de maisons, de voitures et autres objets de la vie courante. Lors de la combustion, on verse une tasse d’eau ou d’alcool de riz sur les braises. La fumée qui s’en dégage s’élève vers le ciel, et crée un mélange eau-feu qui représente le yin et le yang.
Malgré le côté solennel de la cérémonie, la deuxième partie de l’anniversaire se déroule dans la joie et la bonne humeur : tous les membres de la famille, même éloignés, se réunissent tôt le matin pour cuisiner, puis tout le monde se met à table et mange les plats qui sont souvent riches et abondants. On trinque à l’alcool de riz ou de fruits, on boit à la santé des défunts. Parfois, des animations sont organisées : karaoké, danses…
Les ancêtres bénéficient aussi d’une cérémonie particulière lors du nouvel an lunaire, le Tet, qui a généralement lieu en janvier ou en février de chaque année.